Sun, 02 Apr 2023

Tensions politiques au Senegal : s'achemine-t-on vers une impasse?

The Conversation
17 Mar 2023, 04:40 GMT+10

"Gatsa-Gatsa" ("oeil pour œil", en langue wolof). C'est l'expression qu'Ousmane Sonko, leader de l'opposition senegalaise et fondateur du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'ethique et la fraternité, Pastef, a prononcee lors d'un mega meeting à Keur Massar (banlieue de Dakar) le 22 janvier 2023.

Depuis lors, l'expression est devenue un hashtag sur les medias sociaux et les forums en ligne ainsi qu'un cri de ralliement pour une bonne partie de la jeunesse senegalaise qui, compte tenu des recents reculs democratiques du pays, a juge inevitable une confrontation avec le regime de Macky Sall. Si le leitmotiv "Gatsa-Gatsa" fait echo aux appels incessants de Sonko à la resistance contre le regime Sall depuis fevrier 2021 (date à laquelle il a ete accuse de viol et de menaces de mort par la masseuse Adji Sarr), il s'agit egalement d'une reaction contre la recente decision judiciaire d'envoyer l'affaire en procès.

Equite judiciaire et confrontation

Il a fallu deux ans à la justice senegalaise pour organiser une audience preliminaire et une confrontation entre Sonko et son accusatrice, Adji Sarr. Samba Sall, le premier juge qui avait herite de l'affaire,est decede en avril 2021, ce qui a entraîne la nomination d'Oumar Maham Diallo qui, huit mois auparavant, avait partage un post Facebook incriminant Ousmane Sonko. Cette nomination a souleve de nombreuses questions quant à l'impartialite du juge Diallo et a conforte les partisans de Sonko dans leur demande au juge de se recuser.

L'audience preliminaire et la confrontation entre le leader de Pastef et son accusatrice ont revele des elements interessants qui, selon de nombreux observateurs, remettent serieusement en cause le recit de la plaignante.

Tout d'abord, Baye Mbaye Niasse (le guide spirituel "autoproclame" d'Adji Sarr) et les avocats de Sonko ont presente au juge six conversations audio entre Adji Sarr et Niasse. Dans l'une d'elles, Sarr dit que les accusations sont un complot contre Ousmane Sonko. Sommee par le juge de s'expliquer, Adji Sarr a confirme l'authenticite des enregistrements mais a declare que leur contenu etait un stratagème pour tromper Niasse et tester sa loyaute puisqu'il pretendait vouloir la sortir de cette situation. Que sa justification soit convaincante ou non, les enregistrements ont jete de serieux doutes sur les accusations devant le tribunal de l'opinion publique.

Le deuxième element qui transparaît lors de l'audience preliminaire est le role pretendument douteux du procureur general de l'epoque, Serigne Bassirou Guèye, pendant la phase d'enquête. Sonko et ses avocats ont affirme detenir des preuves que l'ancien procureur a "falsifie" le rapport d'enquête initial de la police en supprimant des preuves disculpatoires. Ils ont egalement affirme detenir un rapport interne de la gendarmerie ayant fait l'objet d'une fuite et qui prouve que le procureur s'est permis des libertes avec l'enquête.

Le troisième element qui est apparu est l'existence du rapport de la gendarmerie, commandite par le general Jean-Baptiste Tine, à la suite du licenciement precipite du capitaine Oumar Toure, l'ancien officier de la gendarmerie qui a mene l'enquête preliminaire sur les accusations portees contre Sonko. Quelques semaines avant son licenciement, le capitaine Toure avait publie une video et un message sur les medias sociaux dans lesquels il declarait être suivi par des individus non identifies et craindre pour sa vie.

La demission de Toure et les messages sur les medias sociaux ont provoque une onde de choc dans tout le pays, entraînant une enquête interne de la gendarmerie.

Le rapport a fuite et s'est retrouve entre les mains d'un journaliste d'investigation, Pape Ale Niang, qui a publiquement divulgue son contenu avant d'être arrête et emprisonne par le regime. Niang a ete recemment libere après une intense pression nationale et internationale de la part d'organisations de la societe civile, de defense des droits de l'homme et de journalistes.

En plus de ces elements importants, le Dr Alphousseyni Gaye, le gynecologue qui a examine l'accusatrice la nuit du crime presume, a ete entendu par le juge et a reaffirme que son examen medical n'a apporte aucune preuve de viol.

Malgre tous ces elements et l'incapacite des avocats de l'accusatrice à presenter des preuves tangibles du crime, le juge Diallo a inculpe Sonko et renvoye l'affaire en procès. Sonko et ses avocats, qui s'attendaient à un non-lieu, ont vainement fait appel de la decision du juge. Alors qu'aucune date n'a encore ete fixee pour le procès, la rhetorique des deux parties (opposition et regime) a pris un ton plus incendiaire et belliqueux.

L'affrontement a commence

Lors de son mega meeting à Keur Massar, Sonko a declare solennellement :"J'ai dejà ecrit mon testament et maintenant, je suis prêt à affronter Macky Sall sur tous les fronts".

Si cette declaration a ete accueillie avec enthousiasme par une foule extatique de partisans et de jeunes gens qui le considèrent comme un redempteur et celui sur qui ils fondent leur espoir, elle a sans aucun doute resonne comme une menace et un defi pour les partisans du regime. Depuis lors, les deux camps continuent de se livrer une guerre par procuration via la presse, les medias sociaux ainsi que des visites et des tournees improvisees qui sont devenues l'arme d'attraction massive de Sonko.

Le 10 fevrier 2023, Sonko et ses partisans ont brave une interdiction de manifester à Mbacke (à deux heures et demie à l'est de Dakar) qui s'est transformee en une violente confrontation avec la police. La manifestation a entraîne d'importants degâts materiels, des dizaines d'arrestations et de blessures.

La chaîne de television privee Wal-Fadjri, qui a retransmis en direct les affrontements, en a egalement subi les consequences lorsque le CNRA a coupe et suspendu son signal pendant une semaine. Malheureusement, ce type de censure est recurrent sous le regime Sall et prouve une volonte politique d'etouffer la liberte de la presse et la liberte d'opinion. Une semaine après la confrontation de Mbacke, Sonko a de nouveau ete convoque au tribunal, cette fois pour un procès en diffamation intente contre lui par l'ancien ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang.

Brutalite policère

Mais ce qui ressort de cette journee reste la brutalite avec laquelle une unite speciale de la police a brise la vitre de la voiture de Sonko, l'a traine dehors et l'a force à monter dans un vehicule de police blinde. La video s'est rapidement repandue dans les medias nationaux et internationaux ainsi que dans les reseaux sociaux.

Si ces images ont enormement terni la democratie senegalaise, elles ont expose la nature de plus en plus repressive du regime et fait gagner davantage de soutien populaire et de sympathie pour Ousmane Sonko. Bien que la police n'ait pas arrête Sonko, ses actions injustifiees continuent de mettre en danger et de menacer l'integrite physique de l'opposant que le gouvernement doit proteger.

Agitation contre une troisième candidature

A moins d'un an de l'election presidentielle de 2024, Macky Sall n'a pas encore clarifie son intention de quitter le pouvoir etant donne que constitutionnellement il ne peut plus deposer une candidature à la presidentielle.

Par consequent, il existe une crainte reelle qu'il puisse forcer le passage à l'election et plonger le pays dans une tension politique similaire à celle de 2011, lorsque le president de l'epoque, Abdoulaye Wade, avait decide de briguer "inconstitutionnellement" un troisième mandat.

En outre, il existe une apprehension palpable chez beaucoup de Senegalais que Sonko pourrait perdre son procès sur les affaires de viol et de diffamation, scellant ainsi son destin de candidat à la presidence en 2024. En ce sens, la nouvelle strategie de Pastef consiste à faire une demonstration de force par le biais de grands rassemblements et de demarchages à travers le pays pour consolider son soutien populaire et mettre une enorme pression sur le regime Sall. Cette approche repond à un double objectif.

Premièrement, elle vise à annihiler toute tentative de manipulation de la justice pour un verdict de culpabilite dans l'affaire de viol qui disqualifierait systematiquement Sonko de la course à la presidentielle de 2014. Le soulèvement populaire de 2021 a clairement montre que toute tentative d'instrumentaliser le système judiciaire à des fins politiques entraînera des confrontations violentes aux resultats desastreux. Ce que les Senegalais attendent, c'est un procès equitable et transparent pour toutes les parties impliquees.

Deuxièmement, l'agitation politique envoie des signaux d'avertissement au President Sall : toute tentative de briguer un troisième mandat se heurtera à une resistance populaire farouche.

Cependant, le blocus du domicile de Sonko par la police a considerablement limite sa liberte de mouvement. En outre, le refus systematique des demandes d'autorisation de rassemblement de son parti (par les administrations locales) entrave de plus en plus sa tactique de mobilisation de masse. Cette situation nie ainsi un droit constitutionnel fondamental (celui de manifester et de se rassembler) et cree des affrontements violents entre les forces de securite et les partisans de Sonko qui veulent à tout prix exercer leurs droits constitutionnels.

Campagnes de denonciation

Recemment, le Pastef a inclus dans sa strategie des campagnes internationales de denonciation du regime et de correction de la rhetorique de diabolisation à son egard.

La coalition au pouvoir (Benno Bokk Yakkaar) a intensifie sa campagne visant à presenter Sonko comme un "salafiste", un "terroriste" et un leader politique "anti-francais/occidental" qui veut mettre en peril les interêts occidentaux au Senegal, une image contre laquelle Sonko et ses partisans ont riposte par une campagne de relations publiques soutenue.

Le 28 fevrier 2023, Sonko a ainsi publie "un message à la communaute internationale", un long discours traduit en arabe, en anglais et en francais dans lequel il detaille le recul democratique du Senegal, notamment la multiplication des prisonniers politiques (y compris des mineurs selon le journaliste d'investigation Pape Ale Niang) et les recentes attaques contre son integrite physique, entre autres formes de repression gouvernementale. Alors que Sonko continue de beneficier d'un soutien populaire plus important, son discours à l'egard du regime s'est radicalise et son appel à la resistance se transforme progressivement en un appel à la "riposte".

D'un autre cote, le regime Sall semble egalement resolu à faire respecter la loi et l'ordre par tous les moyens necessaires. Face à ce bras de fer et à une rhetorique cavalière de part et d'autre, des segments de la societe civile et des leaders religieux multiplient les appels à la paix, au dialogue et à la mediation pour eviter une impasse sociopolitique sans precedent avant la presidentielle de 2024.

Author: Bamba Ndiaye - Assistant Professor, Emory University The Conversation

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